L’exposition aux pesticides favorise certains cancers chez les agriculteurs
La France est le premier utilisateur de pesticides (herbicides, insecticides et fongicides) en Europe et le troisième dans le classement mondial. Le cancer est la première cause de mortalité dans le monde et pourrait provoquer la mort de 84 millions de personnes entre 2005 et 2015 selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En France, 1 200 000 personnes vivent aujourd’hui avec un cancer, ou après un cancer.
L’exposition aux pesticides en milieu agricole est considérée depuis longtemps comme un facteur de risque accru de lymphomes. Le lymphome folliculaire est ainsi en augmentation de 3 à 4 % par an depuis une trentaine d’années. Ce type de cancer du sang incurable représente la cinquième cause de mortalité par cancer au niveau national.
Si les agriculteurs développent globalement moins de cancer que les autres professionnels, ils sont plus souvent victimes de cancers des cellules du sang, notamment les paysans âgés de 50 à 67 ans.
Jusqu’à présent, aucun scientifique n’avait attesté d’un lien de cause à effet entre exposition des pesticides et santé des agriculteurs. L’étude du Centre d’immunologie de Marseille Luminy (CIML) vient confirmer le doute.
Cette étude (Agrican) biomoléculaire du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CMIL), élaborée en association avec les épidémiologistes du Centre François Baclesse, a été réalisée ces cinq dernières années sur 144 agriculteurs exposés aux pesticides.
« Nous avons mis en évidence des biomarqueurs qui témoigne d’un lien moléculaire entre l’exposition des agriculteurs aux pesticides, l’anomalie génétique et la prolifération de ces cellules, qui sont des précurseurs de cancers. Cet effet est fonction de la dose et du temps d’exposition », a attesté Bertrand Nadel, l’un des chercheurs du CMIL, lors d’un colloque organisé à Marseille par la Ligue contre le cancer , vendredi 5 février dernier.
Cette étude révèle « l’existence d’un lien de causalité avéré entre l’exposition aux pesticides et l’origine de certains cancers chez les agriculteurs », souligne la Ligue contre le cancer.
Lire « Agriculture : une réduction de 30 % des pesticides serait possible« .
Les pesticides modifient le génome humain
L’équipe du CMIL a constaté que, par rapport au reste de la population, « les agriculteurs exposés aux pesticides développent dans leur génome 100 à 1 000 fois plus de cellules anormales, qui peuvent ensuite éventuellement se transformer en lymphome folliculaire » (un certain type de cancer du sang). (Cette étude est parue dans un article du Journal of Experimental Medecine du 8 juin 2009)
Il est donc maintenant prouvé que les agriculteurs exposés aux pesticides présentent des anomalies chromosomiques pouvant favoriser le développement d’un lymphome ou cancer du système immunitaire.
« Nos résultats apportent une vision nouvelle des étapes de progression vers le lymphome tout en mettant l’accent sur le rôle majeur de l’exposition agricole aux pesticides dans les étapes de progression », affirment les chercheurs marseillais du CMIL, Sandrine Roulland et Bertrand Nadel.
Les facteurs de risques évoluent en fonction des agriculteurs. Selon la classe de pesticides qu’ils rependent, de la taille de leurs exploitations, de leur mode d’épandage et des doses utilisées, les risques ne sont pas les mêmes.
Voir » « Nos enfants nous accuseront » : L’interview vérité de la productrice du film «
Pesticides et risques de cancers : l’Invs lance une étude épidémiologique
Quels sont les liens entre les facteurs professionnels et la survenue de problèmes de santé ? C’est pour répondre à cette question que l’Institut de veille sanitaire (InVS) lance, en partenariat avec la Mutualité sociale agricole (MSA), une grande étude permettant de décrire et de surveiller l’état de santé de la population au travail dans le monde agricole (la cohorte Coset-MSA).
Pilotée par le Département santé travail de l’InVS, l’étude Coset-MSA consiste à suivre l’état de santé et les conditions de travail d’un groupe de volontaires pendant plusieurs années ; elle a pour objectifs d’identifier les métiers et les conditions de travail à risque et de mesurer leur impact sur la santé de la population dans le but de proposer des recommandations en matière de prévention.
Cette étude sera parallèlement menée dans d’autres milieux professionnels au sein du programme Coset. Celui-ci deviendra ainsi le premier grand programme de surveillance de la population au travail à l’échelle nationale.
La première phase de cette étude a débutée le 8 février 2010 dans 5 départements
Sont concernés les Bouches-du-Rhône, le Finistère, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques et la Saône-et-Loire. 10 000 personnes ont été choisies par tirage au sort parmi les actifs du monde agricole âgés de 18 à 65 ans. Elles doivent remplir un questionnaire postal sur leur santé et leur activité professionnelle. Cette étape est jugée primordiale avant le lancement de l’étude à l’échelon national en 2012.
Toutes les données recueillies seront ensuite analysées, dans le strict respect de l’anonymat des participants, afin de décrire les liens entre les facteurs professionnels, les conditions de travail et les problèmes de santé.
Emilie Villeneuve