Menaces de l’avocat de Julien Balkany
A la veille de la parution du livre de la journaliste Marine Jobert et du porte parole de Générations Futures François Veillerette « Le vrai scandale des gaz de schiste » aux éditions Les Liens qui Libèrent, l’avocat de Julien Balkany, ex vice-président du Conseil d’administration de la société Toréador et demi frère de Patrick Balkany, a adressé une lettre à l’éditeur et aux auteurs du livre en les menaçant à mots à peine couverts de poursuites judiciaires. Dans son courrier, l’avocat Maître Fedida dénonce ainsi des propos diffamatoires à l’encontre de Julien Balkany.
Pour mémoire, Toréador est une société pétrolière texane qui s’est récemment implantée à Paris. Elle s’est vue délivrer en 2009 un permis d’explorer les gisements de pétrole de schiste à cheval sur l’Aisne, la Seine et Marne et la Marne.
La réaction de François Veillerette, porte Parole de Générations Futures, et coauteur du livre, ne s’est pas faite attendre : « Ce procédé est insupportable ! Il vise à restreindre notre liberté d’expression et la liberté d’information ! » déclare-t-il dans un communiqué de Générations futures datée du 29 août.
De son côté, Marine Jobert nous a accordé une interview.
Journaliste indépendante, elle a été la correspondante de RTL en Alsace pendant 6 ans et a collaboré avec de nombreux journaux (Le Point, l’Express, Libération, Mediapart, Terra Eco,…). En plus d’une maîtrise en droit public et de son passage à l’ESJ, elle a récemment obtenu un diplôme de 3ème cycle en droit de l’environnement et des risques. En 2003, elle a remporté le prix de l’Association des Journalistes de l’Information Sociale (AJIS) pour son reportage sur les « esclaves de la Mer ».
- www.bioaddict.fr : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?
MJ : J’ai commencé à travailler sur le sujet en septembre 2010. J’ai alors contacté un militant québécois qui avait mis en place un collectif citoyen. En France, les industriels en étaient au stade de l’exploration. Or, il m’a expliqué que c’était loin d’être une étape anodine : » si l’exploration a lieu en France, vous vous exposez déjà à des risques d’exploitation. » L’idée d’un livre est arrivée plus tard, au mois de janvier, qui correspond au début de la mobilisation des Français. Ils s’appropriaient les faits en se basant sur ce qui se passait alors aux Etats-Unis. Les hommes politiques, de gauche comme de droite, ont également commencé à s’y intéresser et à faire tout un tas d’annonces tonitruantes. Notre éditeur a été très rapidement séduit, car il n’y avait encore rien sur le gaz de schiste.
Mais notre livre n’est pas pour autant le récit de la mobilisation en France !
- De quel type de récit s’agit-il ?
C’est une photographie complète de ces six derniers mois. C’est un peu » le gaz de schiste pour les nuls « , avec la volonté de montrer les faits tels qu’ils sont et d’apporter de la rationalité dans le débat.
Le livre raconte une mobilisation internationale incroyable, très rapide et inventive dans ses formes d’expression. Il explique comment le débat est né aux Etats-Unis et comment la loi a été modelée pour étouffer la médiatisation de toute conséquence environnementale, notamment sous l’action de Dick Cheney (ndlr : ancien PDG d’Halliburton, il avait fait voter une loi en 2005 qui empêchait l’analyse des eaux utilisées pour les fracturations).
Nous avons tenté de replacer le débat dans son contexte économique, énergétique, qui est que nous sommes des toxicomanes de l’énergie. Alors que les besoins en énergie dans le monde ne cessent de croître, le gaz de schiste est arrivé comme un cadeau. Un chapitre est également consacré aux enjeux climatiques. Si nous continuons à brûler davantage d’hydrocarbures, les prévisions les plus pessimistes du Giec sont assurées de se réaliser.
- La préface réalisée par José Bové s’imposait-elle comme une évidence ?
Oui car il a vraiment pris la question à coeur. En tant que député européen, il a compris que c’était un problème qui touchait autant des questions environnementales que sociétales. Ce n’était pas un engagement destiné à épater la galerie ! D’ailleurs, on peut faire le parallèle avec ses engagements passés. Je pense notamment à la lutte contre l’expansion du camp militaire dans le Larzac, une autre décision arbitraire de l’Etat.
- Que pensez-vous de la loi votée en juillet par le Parlement?
La loi est mal faite car elle demande aux industriels de produire un dossier technique pour déclarer l’emploi ou non de la fracturation hydraulique. Or, c’est la seule technique aujourd’hui accessible ! Ils ne vont pas trouver d’autres techniques d’ici au 14 septembre, la date limite de déclaration.
Sur la forme, il s’agit surtout d’une loi de circonstances, qui survient dans une période pré-électorale. Les politiques ont voté cette loi de manière opportune, mais elle ne règle rien. D’un côté, on a toujours des industriels, qui ont déjà obtenu leur permis d’exploration et qui, pour certains, ont mis beaucoup d’argent sur la table. De l’autre, on a des personnes qui veulent que les permis soient annulés.
Sur le fond, cette loi ne tranche pas le débat. La droite comme la gauche, veulent un accroissement des ressources énergétiques. S’ils peuvent bénéficier d’une énergie locale et pas trop chère, ils feront le choix de cette énergie. C’est un fait qui va bien au-delà des clivages politiques.
- Quelle a été la réaction de votre maison d’édition lorsque vous avez reçu le mail de l’avocat de Julien Balkany ?
Ils ont eu la même réaction que François et moi-même ! Il s’agit d’intimidation et c’est intolérable. Qu’est ce que Julien Balkany ne veut pas voir publié pour agir de la sorte ? Dans le livre, nous consacrons un chapitre aux » bons amis du président « , où l’on décrit les liens de certains acteurs du gaz de schiste avec le président Nicolas Sarkozy. Julien Balkany y figure car il est à la fois un bon ami du président Sarkozy et il a été vice-président non exécutif du conseil d’administration de Toréador, une société américaine qui vient de rappatrier son siège en France. Conjointement avec la multinationale texane Hess, elle a obtenu l’autorisation d’explorer le pétrole de schiste dans le bassin de Paris. Nous racontons donc l’évolution professionnelle de Julien Balkany et faisons état du fait que son entreprise l’a récemment placé à un poste moins exposé pour éviter que cette proximité ne pose problème. Malgré tout, il figure dans l’organigramme de la société, qui continue à le rémunérer.
- Etiez-vous préparés à ce genre de pressions de la part d’un groupe industriel ?
Disons que c’est un dossier très sensible. Dans le livre, nous traitons d’enjeux économiques, industriels et politiques colossaux, car la question énergétique est aujourd’hui centrale. Nous n’avions pas anticipé la lettre de l’avocat de M. Balkany, mais nous nous étions préparés au lobbying industriel, évidemment.
Propos recueillis par Alicia Muñoz
Le résumé :
Accusés de polluer les nappes phréatiques, les sous-sols et d’empoisonner l’air
par les produits chimiques utilisés pour leur extraction, de faire exploser le trafic
routier, de provoquer des séismes et d’aggraver le réchauffement climatique par
l’intensité des creusages, les gaz et pétrole de schiste sont au coeur d’un débat national.
Les opposants ont gagné la première manche, mais les potentiels bénéficiaires
préparent déjà leur revanche…
Les industriels et les politiques n’entendent pas en effet se priver de nouvelles ressources. Mais en courant après l’indépendance énergétique, ils poursuivent un modèle économique qui génère la crise écologique.
Ce livre est un document précieux décryptant les liens entre haute administration, industriels et politiques. Ce livre démontre pourquoi les projets d’extraction sont encore sur la table malgré les dommages immenses et prouvés de ces exploitations sur l’environnement. A l’heure du grand théâtre de la présidentielle, voici le livre qui permet d’affronter les enjeux énergétique et climatique en connaissance de cause.