Pollution marine : quelles actions mener aujourd’hui et demain ?
Selon la communauté scientifique internationale (GESAMP ou United Nations Joint Group of Experts on the Scientific Aspects of Marine Environmental Protection), la pollution marine est » l’introduction par l’homme, directement ou indirectement, de substances ou d’énergie dans le milieu marin (y compris les estuaires) occasionnant des effets néfastes tels que des nuisances envers les ressources biologiques, des risques pour la santé de l’homme, des entraves aux activités maritimes (y compris la pêche), une altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et une dégradation des valeurs d’agrément « .
D’après l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’émotion légitime suscitée par les conséquences d’une pollution accidentelle en milieu marin ne doit pas masquer la situation de fond constituée par :
-les apports de pollution chronique d’origine multiple, qu’ils soient ponctuels (rejets industriels, rejets urbains), diffus (apports agricoles, retombées atmosphériques) ou intégrés (apports par des fleuves)
-les contaminations liées à l’usage du milieu (rejet des sédiments de dragage) et de la navigation maritime (déballastages frauduleux des navires, apports diffus des biocides incorporés dans les peintures antisalissures).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on estime qu’en 2025, les populations côtières du monde vont atteindre 6 milliards de personnes et en 2050, 91% des côtes du monde seront touchées par le développement humain. Or de nos jours, 80% des débris marins proviennent d’activités terrestres (les 20 % restant sont d’origine marine) et 90% de nos gros poissons ont disparu !
En dehors de l’Europe et de l’Amérique du Nord, plus de 80% des eaux d’égoût non traitées entrent dans l’océan. Et certaines zones de l’océan contiennent près de 1 million de particules de plastique par kilomètre carré !
Un Grenelle de la Mer » à la hauteur des enjeux «
Annoncé le 27 février 2009, par Jean-Louis Borloo , ministre d’Etat, ministre de l’Ecologie, le Grenelle de la Mer contribue à la définition de la stratégie nationale pour la mer et le littoral, en identifiant des objectifs et des actions à court, moyen et long termes.
Les trois tables rondes finales du Grenelle de la Mer se sont conclues les 10 et 15 juillet dernier. Ces deux journées ont permis d’entériner une série de mesures en faveur des énergies marines, de la biodiversité et de la pêche durable ou encore de la gouvernance.
• Des projets pour éviter le pire
Concernant la réduction des pollutions marines , le Grenelle de la Mer s’engage à:
-proposer un objectif mondial de réduction des gaz à effet de serre du transport maritime.
-faire inscrire la Méditerranée comme zone de contrôle des émissions de souffre des navires, en tenant compte du cabotage. La mer Méditerranée représente 0,7 % de la surface des mers, mais Greenpeace estime que 100 000 à 150 000 tonnes de pétrole brut y sont déversées chaque année du fait des activités de transport maritime. La Méditerranée reçoit ainsi 17% des rejets d’hydrocarbures déversés dans les océans du globe (en l’absence même de marées noires).
-lutter contre les dégazages, le marquage des hydrocarbures, notamment par ADN, sera testé par le CEDRE (Centre de Documentation, de Recherche et d’Expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) cette année pour obtenir des résultats en janvier 2010.
-prendre une initiative européenne contre l’exportation des navires hors normes vers les pays du sud.
» Le bilan est plutôt positif. Les propositions portées par les ONG ont été écoutées malgré le lobbying de la part des armateurs. On est content de la prise de conscience de la part du gouvernement. Certains résultats sont ambitieux mais il faut quand même rester vigilant : on attend de voir quelles seront les traductions législatives, financières, de ces mesures prises par le Grenelle. Il faut que le travail suive pour éviter que cela ne se transforme en simple effet d’annonce. La pression est très forte », livre François Chartier, chargé de campagne Océans à Greenpeace, qui rappelle que la pêche intensive est une des pollutions marines.
« Nous donnons en ce moment la priorité à la sauvegarde du thon rouge , dont l’inscription à la Convention pour le commerce international des espèces menacées (CITES) est largement soutenue. D’autant plus que nous comptons sur les Assises de la pêche auront lieu dès la rentrée. Nous travaillons aussi sur la filière de la grande distribution pour que les supermarchés pratiquent une politique d’achat durable « .
« Nous nous rendons dès le 3 août dans les Bouches de Bonifacio avec le Rainbow II car 3 000 navires par an traversent ce bras de mer dont 10 % sont chargés de matières dangereuses. Nous demandons l’interdiction du transit de toute matière dangereuse dans les Bouches de Bonifacio « .
Les Assises de la Pêche se tiendront en articulation avec le Grenelle de la Mer et dans le cadre d’une gouvernance à cinq, permettant ainsi de poursuivre une concertation active. Le Grenelle de la mer a d’ailleurs décidé de passer à une gestion durable de la pêche.
Il s’est engagé notamment à renforcer la protection du sanctuaire PELAGOS pour les mammifères marins et à mettre fin à la pêche au requin taupe par le non renouvellement des licences de pêche et une réflexion sur l’accompagnement des pêcheurs.
• 20 % des eaux françaises devront être en Aires Marines protégées d’ici à 2020
La France, qui est le deuxième domaine maritime international, pourrait devenir le leader mondial en termes de protection de la biodiversité et de gestion des pêches si ces objectifs sont mis en oeuvre.
Les associations signataires du Grenelle seront particulièrement attentives à la mise en oeuvre d’une aquaculture durable. Elle devra reposer sur la production de poissons carnivores et la pêche minotière, sur la protection des écosystèmes de grands fonds (la France continue à détruire des écosystèmes vulnérables malgré la résolution onusienne qui l’interdit effectivement depuis le 31 décembre 2008), sur la maîtrise des pollutions d’origine terrestre, sur le traitement des déchets portuaires et sur la réduction des macrodéchets.
Le PNUE interpelle sur le problème mondial de la croissance des déchets marins
Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement et Ocean Conservancy révèlent dans un rapport de juin dernier, intitulé » Déchets marins : un défi mondial « , que les principales sources de pollution marine sont des équipements de pêche, des sacs en plastique et des mégots de cigarette, dans les 12 principales mers régionales dans le monde entier.
Les conclusions du rapport indiquent que des quantités alarmantes de déchets jetés à la mer continuent de menacer la sécurité des personnes et leur santé, à piéger la faune, à endommager les équipements nautiques et à abîmer les zones côtières dans le monde entier. Et cela, en dépit des efforts de plusieurs organisations internationales, régionales et nationales visant à contrer la pollution marine.
» Ce rapport est un rappel que la négligence et l’indifférence se révèlent mortelles pour nos océans et ses habitants, explique Philippe Cousteau, chef de la direction de EarthEcho International Ocean Conservancy et membre du conseil d’administration. Au-delà des faits et des chiffres, le moment est venu d’agir. Il y a des comportements que chacun, partout dans le monde, peut adopter pour faire un changement positif « .
• Les plastiques et les cigarettes en tête du » Top Ten » des débris marins
Les plastiques, notamment les sacs plastique et les bouteilles en PET, représentent plus de 80 % de tous les déchets collectés dans plusieurs mers régionales lors de l’évaluation.
Les débris de ces matières s’accumulent dans les environnements terrestres et marins pour se décomposer lentement en petites pièces qui peuvent être consommés par les êtres vivants à la base de la chaîne alimentaire. Ces plastiques ont des composés toxiques qui peuvent ensuite entrer dans le corps des organismes qui se nourrissent de la matière plastique.
La production mondiale de plastique est maintenant estimée à 225 millions de tonnes par an.
Les plastiques peuvent être confondus avec les aliments par de nombreux animaux, y compris les mammifères marins, les oiseaux, les poissons et les tortues. » Les tortues de mer, en particulier, peuvent confondre les sacs de plastique flottants avec des méduses, l’un de leurs plats préférés « , indique le rapport.
Regardez la plage où vous allez cet été, que voyez-vous en premier ? Les cigarettes. Les filtres à cigarettes, les paquets de cigarettes et les modes d’emploi pour les cigares représentent 40 % de tous les déchets marins dans la Méditerranée, tandis qu’en Équateur, des déchets liés au tabac représentent plus de la moitié du total des déchets côtiers » capturés » en 2005 !
• Les deux côtés du tourisme
Le secteur du tourisme et des loisirs a un impact significatif sur l’état des mers et des littoraux dans le monde. Dans certaines régions touristiques de la Méditerranée, plus de 75 % de la production annuelle de déchets sont générés au cours de la saison estivale. En Jordanie, les activités de loisirs représentent 67 % des déchets, tandis que les activités portuaires et maritimes constituent environ 30 % des déchets. L’industrie de la pêche représente 3% seulement.
» S’il est bien géré, le tourisme peut contribuer au maintien de l’aspect immaculé des plages et des eaux, comme l’ont démontré les Seychelles et l’Ile Maurice. Bien que ces deux destinations soient très prisées par les touristes, ces deux pays jettent très peu des déchets dans l’océan Indien « , note le rapport.
Toutefois, les vents et les courants océaniques peuvent transporter les déchets marins indésirables loin de leur point d’origine. Par exemple, les Seychelles ont fait état d’une accumulation de déchets sur la côte orientale de l’île de Mahé au sud pendant la mousson, alors que les articles jetés sur la côte ouest de l’Australie ont été récupérés sur la côte Est de l’Afrique du Sud.
• De la source à la mer
En Australie, les enquêtes à proximité des villes indiquent que jusqu’à 80 % des déchets marins proviennent de sources terrestres. Les sources marines sont dans le peloton de tête dans les régions plus éloignées.
Le problème des déchets marins est susceptible d’être particulièrement grave dans les mers d’Asie orientale, région abritant 1,8 milliards de personnes et ou 60 % des personnes vivent dans des zones côtières. Ces zones connaissent la croissance simultanée de deux activités: le traffic maritime et le développement industriel et urbain.
L’économie basée sur le pétrole et le boom dans la construction sur les zones côtières de la mer Caspienne, ont fait des déchets marins une nouvelle préoccupation dans les États du littoral, en particulier l’Iran et l’Azerbaïdjan.
En Asie du Sud, l’industrie grandissante de la démolition navale est devenue une source importante de débris marins et de pollution par les métaux lourds dans les zones côtières adjacentes.
Le sud-est du Pacifique a des ports et un fort trafic maritime. Dans les cinq pays riverains, des déchets d’origine marine ont été signalés, mais il y a très peu d’informations concernant l’origine et le volume de ces déchets. Selon une estimation, une flotte de pêche colombienne génère environ 273 tonnes de déchets marins chaque année.
Le manque d’installations de gestion des déchets solides facilite l’entrée de déchets dangereux dans les eaux de l’océan Indien occidental, dans les mers d’Asie du Sud et dans sud de la mer Noire entre autres.
Des législations qui tentent de réduire cette pollution des océans
Une des plus grandes initiatives internationales est la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) adoptée le 2 novembre 1973. Elle porte sur la pollution par les hydrocarbures, les produits chimiques, les substances nuisibles transportées en colis, les eaux usées et les ordures. L’Annexe V de la convention MARPOL a été introduite en 1988 dans le but d’interdire le rejet en mer de la plupart des déchets et de tous les matériaux plastiques par les navires. 122 pays ont ratifié ce traité.
De 1981 à 1989, les déversements en mer d’hydrocarbures dus aux navires sont passés de 1,47 millions de tonnes à 570 000 tonnes, ne représentant plus que 12 % des rejets en mer, dont la majeure partie provient de la Terre.
» Il apparaît que la mise en oeuvre de la MARPOL a réduit le problème des débris marins mais d’autres recherches montrent qu’elle n’a pas eu l’impact attendu. 80% des débris marins proviennent d’activités terrestres alors même si le monde entier se conformait à la Convention MARPOL, ces sources demeureraient « , souligne Greenpeace dans son rapport » Débris plastiques et pollution des océans « .
Suite aux naufrages de l’Erika en 1999, du Prestige en 2002, des mesures renforçant davantage la sécurité maritime et la lutte contre les pollutions marines ont été adoptées. Elles ont permis également de faire évoluer des textes préexistants qui, pour certains, n’étaient pas encore mis en oeuvre, notamment au niveau international.
• Pour une meilleure prévention des accidents maritimes
L’Organisation maritime internationale (OMI) a été créée par une convention internationale, adoptée en mars 1948 et entrée en vigueur 10 ans plus tard en mars 1958. Elle est rattachée à l’Organisation des nations unies (ONU) » en tant qu’institution spécialisée dans le domaine de la navigation maritime et de ses effets sur le milieu marin « . 167 États membres en font partis tandis que 57 organisations non gouvernementales (ONG) ont un statut consultatif auprès de cette organisation.
Les plus importantes conventions de l’OMI concernent la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), la convention pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL).
Dans le cadre de la sécurité maritime, l’Union Européenne a adopté deux paquets (Erika I et Erika II) législatifs importants en matière de sécurité maritime qui ont mis en place l’inspection des navires dans les ports, interdit l’utilisation des navires à simple coque pour le transport de pétrole et créé l’Agence européenne de sécurité maritime (EMSA).
Le paquet « Erika III » qui vise notamment à protéger les côtes européennes des catastrophes maritimes, a été adopté par le Parlement au mois de mars dernier.
• Stratégie pour le milieu marin
La directive du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 établit un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin. Elle fixe aussi des objectifs communs pour la protection et la conservation de l’environnement marin d’ici à 2020. Afin d’atteindre ces objectifs communs, les États membres devront évaluer les besoins dans les zones marines qui sont de leur ressort. Ils devront ensuite élaborer et mettre en oeuvre des plans de gestion cohérents dans chaque région (la mer Baltique, l’Atlantique du Nord-Est, la mer Méditerranée et la mer Noire), puis en assurer le suivi.
Ces stratégies visent à assurer la protection et la restauration des écosystèmes marins européens, et à assurer la viabilité écologique des activités économiques liées au milieu marin.
Malgré les initiatives au niveau mondial, international et national qui visent à protéger les océans contre la pollution marine, celle-ci menace non seulement la population mais aussi les poissons, les cétacés…toute vie aquatique.
Ne transformons pas les océans en poubelle géante en jetant tout et n’importe quoi dedans !
Emilie Villeneuve