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Ecologie : qui est juridiquement responsable de la pollution de l’environnement ?

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Par Bioaddict

La pollution environnementale reste encore très mal encadrée juridiquement comme le montre l'affaire du naufrage du pétrolier Erika. Une situation dénoncée par le Club des Juristes* qui formule des propositions à mettre d'urgence en place pour que le Droit soit enfin adapté face aux risques écologiques de plus en plus menaçants.

Après plus de 12 ans de procédures, la proposition du parquet général de la Cour de Cassation d’annuler définitivement la condamnation de Total suite au naufrage désastreux du pétrolier Erika au large des côtes bretonnes en 1999, confirme l’incroyable flou juridique en cas de pollution environnementale. Un flou bien entendu voulu et entretenu par les grands groupes internationaux. Grâce à leurs armées d’avocats ils réussissent ainsi à berner les plus hauts tribunaux en construisant des montages juridiques qui permettent dans pratiquement tous les cas de figure de n’être responsables de rien. Et les lois nationales et internationales, qui s’empilent et se contredisent, ne font que les conforter.

L’exemple de Total, l’affréteur du vieux navire, battant pavillon maltais, qui a coulé en décembre 1999 et pollué plus de 400 km de côtes bretonnes, et les fonds marins, en déversant 20 000 tonnes de fioul lourd, et en provoquant des dégâts considérables en termes de mortalité des oiseaux et de biodiversité, vient une nouvelle fois de le confirmer.

Total avait été en toute logique jugé coupable et condamné à payer les dégâts en première instance en 2008 et en appel en 2010. La société qui avait délivré le certificat de navigabilité ainsi que le propriétaire du bateau avaient également été condamnés. Mais voilà que le Parquet découvre, (12 ans après la catastrophe !) que le naufrage n’a pas eu lieu dans les eaux territoriales françaises, mais en zone économique exclusive (ZEE) et que donc les condamnations qui avaient été prononcées par les tribunaux français n’ont pas de fondement juridique. Bien entendu les juges de la Cour de cassation ne sont pas obligés de suivre l’avis du ministère public, mais cela jette pour le moins un froid. Et les responsables des zones polluées sont atterrés.

Comment comprendre cette interprétation ? Le droit français est-il finalement adapté à la pollution environnementale ? Pour le Club des Juristes* qui vient de publier un document sur le sujet la réponse est clairement non.

Ce que dit la loi française

En cas d’atteinte à l’environnement sur notre territoire deux grands régimes généraux permettent aujourd’hui de fonder l’engagement de la responsabilité environnementale : la loi du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale (LRE), qui repose sur l’intervention du préfet ; et le droit commun de la responsabilité civile, devant les juridictions judiciaires.

 » Or, aucun de ces régimes n’est satisfaisant. Ainsi depuis 2008, la loi sur la responsabilité environnementale n’a quasiment donné lieu à aucun cas d’application. Quant au droit civil de la responsabilité environnementale, il souffre de nombreuses ambiguïtés qu’une jurisprudence dispersée peut difficilement lever « , déplore le Club des Juristes.

La LRE est trop imprécise

Ainsi, depuis trois ans, quasiment aucun cas d’application de la LRE n’a été recensé. Et ce n’est pas étonnant. Cette loi est en effet réservée aux seuls dommages les plus graves, et uniquement pour certaines catégories d’atteintes. Ce qui fait que la plupart des atteintes à l’environnement échappent, en réalité, au régime institué par cette loi.

Le droit civil n’est pas adapté

Dans l’immense majorité des cas, c’est donc sur le fondement du droit civil que la responsabilité environnementale est aujourd’hui engagée.

Or, à ce jour l’article 1382 du code civil, est totalement inadapté à la problématique de la responsabilité environnementale. Il n’évoque pas les dommages causés  » à autrui « . Il exige en effet le caractère personnel du dommage. Or dans la plupart des cas le dommage environnemental n’est pas personnel.

Faute de mieux la plupart des actions en réparation de dommages environnementaux (AZF, Erika ) sont donc portées soit devant le juge civil, soit devant le juge pénal avec pour fondement juridique  » la responsabilité pour faute « . Mais dans ce type de situation la faute est toujours rejetée sur l’autre. Ainsi dans l’affaire Erika Total, (affréteur du bateau) rejette la faute sur l’armateur (propriétaire du bateau), qui la rejette sur la société chargée de délivrer les certificats de navigabilité…

Quelle procédure, et comment réparer ?

Par ailleurs rien n’est clair pour porter l’affaire en justice. Ainsi concernant la procédure on ne sait toujours pas qui est vraiment habilité à engager l’action en réparation du dommage environnemental. Les associations, les communes, les voisins, l’Etat… ?

On ne sait pas non plus, en cas d’admission de l’action, qui serait titulaire de la créance, du droit mis en cause par l’atteinte à l’environnement.

Enfin, si le dommage est reconnu son évaluation et sa réparation restent à ce jour sans bases précises. Comment évaluer le dommage ? Sur quelle règle juridique le responsable d’une atteinte à l’environnement serait obligé de la réparer ? Nous n’en savons rien.

Il n’est donc pas étonnant qu’en l’absence de victime identifiable, et d’obligation de réparation, certains finissent par contester l’existence même de cette obligation. C’est le cas dans l’affaire Erika.

Que font les tribunaux ?

Devant ce flou juridique que font les tribunaux ?  » Ils adoptent des solutions diverses, contradictoires, voire incohérentes, et ce sur l’ensemble des questions posées : celle du fondement juridique de la réparation, celle des parties recevables à demander réparation, celle de la nature du préjudice réparable, ou encore celle des modalités de la réparation « , déplore le Club des Juristes.

Changer la loi

Afin de répondre à ces enjeux, la Commission Environnement du Club des Juristes, présidée par Yann Aguila, Professeur de droit public à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et Professeur associé à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et enseignant de droit public à l’ENA et à l’Ecole de Formation du Barreau de Paris, a donc élaboré une série propositions qui visent à donner une base juridique solide aux actions en responsabilité environnementale en les inscrivant dans le code civil :

  • Suppression de toute ambiguïté quant à l’existence d’une obligation juridique de réparer les dommages causés à l’environnement, en insérant dans le code civil, après l’article 1382 qui dit que :  » Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer « , un article 1382-1 qui dirait :  » Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à l’environnement un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer « 
  • Définition des modalités de la réparation du dommage environnemental pour mettre fin aux hésitations de la jurisprudence.
  • Réparation des dommages en nature, plutôt que monétaire.
  • Attribution au juge des pouvoirs équivalents à ceux dont dispose le préfet dans la LRE. Le juge prescrirait les mesures de réparation, qui seraient exécutées par l’auteur du dommage et/ou sous sa responsabilité, et aurait en outre un pouvoir de surveillance et de contrôle des actions réparatrices engagées.
  • Elargissement de la palette des outils du juge pour la réparation en nature d’un préjudice écologique, en lui donnant la possibilité d’affecter les dommages et intérêts à une action particulière (plan de réhabilitation d’un site, dépollution des berges, implantations).
  • Création d’un fonds dédié à la protection de l’environnement permettant de recueillir les sommes allouées au titre des dommages et intérêts.
  • Inscription dans le code civil du principe de l’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle en cas d’atteinte à l’environnement.
  • Définition claire des parties au procès en responsabilité environnementale afin de savoir qui peut se réclamer du dommage et porter l’action en justice. La commission estime qu’il ne faut pas désigner un titulaire exclusif de l’action en responsabilité environnementale, mais au contraire organiser la complémentarité entre les différents représentants possibles de l’intérêt environnemental : associations de défense de l’environnement et/ou la puissance publique .
  • Développement des formations pluridisciplinaires spécifiques, pour encourager l’émergence d’un corps d’experts spécialistes de questions environnementales complexes.
  • Création de rubriques environnementales dans la nomenclature des experts de justice, et assouplissement des conditions de désignation des experts ne figurant pas sur une liste dès lors que ces experts sont reconnus comme spécialistes du dommage en cause afin de faciliter au juge la possibilité de faire appel à des experts étrangers.
  • Et enfin création d’un réseau d’experts afin de coordonner les diverses structures qui réalisent des expertises en matière environnementale.

Toutes ces propositions sont des mesures de bon sens. Mais comme d’habitude la justice est dépassée par les événements et tarde à mettre en place des réformes et de nouveaux textes tenant compte de l’évolution de la société et des problèmes de pollution environnementale émergents.

Dans l’affaire Erika, la Cour de Cassation sera seule juge pour prendre la décision finale le 24 mai prochain. Mais quelle va être sa marge de manoeuvre ? Sur quels textes juridiques va-t-elle se fonder ?

Les pollueurs ont encore de beaux jours devant eux.

Hervé de Malières

www.leclubdesjuristes.com

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