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Crise du coronavirus : pour Nicolas Hulot, "la nature nous envoie un message"

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Par Bioaddict

Interrogé sur l'épidémie de coronavirus par BFMTV, Nicolas Hulot estime que la crise du coronavirus constitue une "sorte d'ultimatum de la nature" qui nous "envoie un message et nous teste sur notre détermination" à évoluer vers un futur meilleur.

Interviewé le dimanche 22 mars depuis la Bretagne (Saint-Lunaire) où il habite, l’ancien ministre de l’écologie et Président d’honneur de la Fondation pour la Nature et l’Homme Nicolas Hulot a expliqué à BFMTV : « On assiste à un passage de cap de l’humanité » avec une « sorte d’ultimatum de la nature ».

Voici la retranscription d’une partie des ses propos lors de cette interview : (cliquez ici pour voir l’interview vidéo)

« Je pense que l’Histoire se souviendra de cette période comme d’un passage de cap pour l’humanité. Je pense qu’on traverse quelque chose de très singulier. En temps utile, car là c’est le temps de la souffrance, de l’inquiétude, de la peur, de l’urgence,.. en temps utile, j’espère qu’on tirera des enseignements de cette situation. Mais ce n’est pas le moment. Le moment, il est à l’unité. Le moment c’est de faire bloc, bloc derrière le gouvernement, bloc avec toutes celles et ceux qui nous permettent de survivre, faire preuve de bienveillance, de discipline, de solidarité. Voilà. C’est un moment très particulier. Pour celles et ceux comme moi qui sont confinés avec un sentiment un peu étrange de se sentir inutile, c’est peut-être le moment d’engager une introspection dont on aura besoin pour comprendre pourquoi on en est arrivé là. Je pense que l’humanité est confrontée un peu à ces limites. Notre vulnérabilité nous saute à la figure. Et en même temps il y a aussi une de très belles démonstrations de solidarité, je pense notamment au personnel soignant. Ayons de la gratitude pour ces femmes, ces hommes qui font fonctionner l’essentiel, assurent notre survie, ceux qui font fonctionner la démocratie aussi. (…)

Beaucoup de citoyens qui sont chez eux ont envie de dire aujourd’hui merci à la boulangère qui nous donne du pain le matin, merci à l’infirmière qui se débrouille comme elle peut pour assurer sa mission, merci aux policiers, aux députés, à ceux qui font qu’on a de l’énergie et qu’on puisse se parler.  Dans ces moments-là, il y a une belle humanité qui sort, elle est invisible en temps normal et peut-être plus visible maintenant, et c’est sur elle qu’il faudra s’appuyer au moment de la résilience. (…)

Aujourd’hui nous faisons l’expérience du vide et de la pause, c’est une expérience salutaire. (…) Il faut utiliser ce moment très particulier pour se rendre compte que le modèle dominant, qui a eu ses vertus, a atteint ses limites, et il faudra en tirer des leçons. Quand on verra le bout du tunnel, il faudra se retrouver dans l’unité sur une vision commune pour voir quel autre monde est possible pour l’après. Cette globalisation, cette mondialisation effrénée est confrontée aujourd’hui à une forme d’absurdité. On voit bien que malgré notre technologie, malgré notre intelligence, le mal se propage plus vite que le bien. Mais ça n’est pas une fatalité. Il y a un autre modèle à inventer. (…)

Je crois qu’aujourd’hui, nous recevons une sorte d’ultimatum de la nature. Entendons-le pour une fois ! Tirons-en des leçons, mais pas pour nous diviser et nous confronter, mais pour nous additionner et nous élever. (…) Cet ultimatum dont on se serait bien passé, cette injonction qui nous tombe subitement et cruellement dessus, ne doit pas être vaine. Il faut qu’elle ait un sens. Ce n’est pas un déficit d’intelligence qui nous fait défaut aujourd’hui, mais la question du sens. On a été un peu aveuglé par notre succès. (…)

Peut-être qu’il faut remettre à plat le modèle. Il va certainement falloir relocaliser une partie de notre économie. On découvre brutalement que nous les Européens, pour beaucoup de matières premières, et même de ressources vitales, nous sommes dépendants de pays qui sont à l’autre bout du monde. Peut-être que cette absurdité, on va y mettre fin. Peut-être que cette course au ‘toujours plus », au « toujours plus vite », on va enfin la remettre en cause. Peur-être qu’on va revenir à une société plus humaine, avec moins de biens matériels mais plus de relations humaines. Je l’espère. (…)

Souvent on m’a dit (à propos de la crise climatique) que « la peur n’est pas mobilisatrice, arrêtez de faire peur, arrêtez d’être catastrophique », mais je crois que la peur, au contraire, elle est mobilisatrice, elle peut même être créative. Elle est là pour ça la peur. Ce n’est pas une peur qui doit nous figer, mais nous éveiller, nous rassembler. (…)

C’est compliqué de combiner l’urgence de l’instant et la précaution du futur, mais il va falloir changer profondément le modèle. Quand on est le nez devant la menace, chacun, qu’il soit riche, qu’il soit pauvre, qu’il soit laïque, qu’il soit croyant, qu’il soit au Nord, qu’il soit au Sud, comprend que la menace vaut pour lui, et alors-là, on transgresse toutes les règles, et on est capable vraiment, comme on le fait en guerre, de faire un effort de guerre. Je pense que par rapport à la crise écologique, en temps utile, comme on le fait pour cette crise sanitaire, qui est d’ailleurs quelque part alimentée par la crise écologique, et il faudra également faire un effort de guerre avec des choix précis et collectifs, mais pas dans la défiance entre le citoyen et le politique, pas dans l’ignorance du politique vis-à-vis du citoyen, mais dans une unité nationale de créativité et de coopération. (…)

Tout n’est pas à jeter du passé,nous avons des outils fantastiques, scientifiques, technologiques, économiques. (…) Aujourd’hui on transgresse tous les dogmes économiques et financiers parce qu’il y a une urgence, mais la crise écologique et climatique est aussi une urgence. Et on voit bien que lorsqu’on attend (trop longtemps) pour réagir, c’est finalement 10, 20, 30, 100 fois plus cher que lorsqu’on anticipe. Moi aujourd’hui je ne cherche pas à critiquer ce qui a été fait, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on fera quand on sera sorti du tunnel. (…)

La Nature nous envoie un message. Elle nous teste sur notre détermination, voilà. Et quand je parle d’un ultimatum, je pense que c’est un ultimatum au sens propre comme au sens figuré. On a eu beaucoup de signaux mais tant que nous n’avons pas le danger palpable, on ajourne, on reporte, parce qu’il y a d’autres urgences, bien entendu, mais là on ne pourra pas ajourner cette mutation, on ne pourra pas le faire dans la division, on ne pourra pas le faire dans la confrontation, on pourra le faire dans l’addition, on pourra le faire dans la mutualisation, et c’est pour ça qu’il y a un nouveau paradigme, peut-être que son temps est venu, peut-être, et c’est tragique ce que je vais dire, mais que tout ça est un mal nécessaire (…), j’espère en tout cas que ce sera le cas. (…)

J’ai échangé avec un garçon qui est au coeur des quartiers (populaires), qui est responsable d’un certain nombre d’associations et qui me dressait un tableau terrible de celles et ceux qui sont confinés dans des surfaces minuscules à 8, à 10, et qui parfois n’ont pas d’autre choix que d’aller chercher assez loin leur alimentation. Il va falloir que toutes nos aides, tous les dispositifs que l’on met en place aujourd’hui et au sortir de la crise soient prioritairement évidemment vers celles et ceux qui auront été affectés. Il faudra plus de justice sociale, et encore une fois, il ne faudra pas hésiter à sortir des dogmes économiques et financiers comme on le fait là pour aider à se redresser, ce sera de l’investissement pour l’avenir. N’ayons pas peur, si on doit créer de la dette, faire tourner la planche à billets, on se redressera à un moment ou à un autre, mais pas sur un modèle qui épuise les ressources. (…) Le temps des produits qui ont fait trois fois le tour du monde doit être révolu.

J’espère qu’au sortir de tout cela, nous n’allons pas repartir vers une sorte d’euphorie parce que le mal sera derrière nous. Il va falloir se retrouver sur l’essentiel. Parfois (avec cette crise) on a l’impression que le monde s’est arrêté mais que la vie commence. Il y a tellement de leçons, tellement de messages, de révélations à tirer de cette situation très particulière, dont il faut profiter pour un retour à la raison, à la sagesse, à la sobriété, à la modération. (…)

Il est également important d’accepter que le politique nous fixe des limites. Quand le politique nous dit un matin de rester chez nous parce qu’il y a une urgence, et bien tout le monde le fait. Acceptons demain qu’en fonction des capacités de la planète et de la nature, on se fixe collectivement et individuellement des limites. (…)

Il va falloir remettre (le système) à plat. Pas pour tout jeter, mais pour trier entre ce qui est compatible avec cette crise écologique du 21ème siècle et ce qui ne l’est pas. On faudra qu’on accepte qu’il y aura des choses qui seront possibles et d’autres qui ne le seront pas. Mais on en sera pas moins heureux parce qu’on va revenir à une notion qui nous avait échappé, c’est une notion de choix et de limites. (…)

L’humanité est aujourd’hui confrontée à son destin. Et il faut qu’on le prenne en main. Tout est encore possible, mais dans l’unité, dans la solidarité, la créativité, dans l’ambition, pas dans la confrontation en permanence. On est dans un point de bascule. On peut basculer vers le pire si on s’entête ou vers le meilleur. (…)
(Après la crise) Le temps ne sera pas à pointer du doigts les coupables. On est tous un peu responsables du modèle dans lequel on a été. Il faudra se réunir et construire ensemble dans la confiance et la bienveillance le modèle économique et social de demain. (…)

Je veux rester confiant dans les leçons et dans l’enseignement (que nous tirerons de cette crise), et qu’il y aura un sursaut d’intelligence et de sagesse, quand nous verrons le bout du tunnel. »

Propos recueillis par Mathilde Emery

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