Energies renouvelables : la France veut mettre le paquet
L’ADEME a enfin rendu son étude portant sur les agrocarburants après des mois d’hésitation, le premier bilan ayant été sous les feux des critiques en octobre dernier, notamment des ONG.
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Cette expertise répond aux recommandations du Grenelle de l’Environnement qui préconise une » expertise exhaustive et contradictoire du bilan écologique et énergétique des biocarburants de première génération » (engagement n° 58). Elle s’inscrit aussi dans un contexte européen.
La Directive » Energies renouvelables » du 29 avril 2009 demande en effet aux Etats membres d’incorporer dans les transports 10 % d’énergies renouvelables produites de manière durable d’ici 2020, avec pour critère une réduction de 35% des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux équivalents fossiles d’ici 2010, puis 50 % en 2017.
La France, qui doit remettre dans quelques mois son Plan d’action national en matière d’énergies renouvelables à la Commission européenne, est résolue à atteindre les 7 % de biocarburants dans les carburants routiers avant la fin 2010, alors que l’objectif européen est de 5,75 %.
Lire « Projet Bio-T-Fuel : les agrocarburants seconde génération vers un futur scandale ? «
Un bilan sur les agrocarburants plutôt mitigé
Le champ de l’étude de l’ADEME couvre :
-les filières bioéthanol : éthanol de blé, de betterave et de maïs (France), éthanol de canne à sucre (importation), ETBE obtenu à partir d’éthanol de blé, betterave, maïs et canne à sucre.
-les filières biodiesel : colza, tournesol, soja, palme, graisses animales et huiles alimentaires usagées.
-les filières HVP (Huiles Végétales Pures) : colza
-les filières pétrolières : diesel et essence, sous deux spécifications : EURO4 et EURO5.
Elle permet de faire le point sur l’impact des biocarburants sur le changement climatique (émissions des gaz à effet de serre ), avec la prise en compte de l’impact du Changement d’Affectation des Sols (CAS).
» En effet, la transformation des forêts tropicales primaires en cultures industrielles de canne à sucre et de palmiers à huile destinées à faire rouler nos voitures est à l’origine d’émissions très importantes, liées au déstockage massif de carbone suite à la suppression du couvert forestier et à la dégradation des sols. Rappelons que la déforestation représente près de 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ! « , ajoute FNE, qui rassemble près de 3 000 associations pour la protection de l’environnement.
L’étude » Analyse de cycle de vie appliquées aux biocarburants de première génération consommés en France » permet aussi d’enrichir la connaissance scientifique sur l’efficacité énergétique (consommation des énergies non renouvelables).
Ainsi, les biocarburants produits en France présentent, dans le cadre de la méthodologie retenue, sans tenir compte du carbone des sols, un bilan attirant. Les gains nets en émission de gaz à effet de serre, par rapport à des carburants fossiles sont de 60 à 70 % pour les biodiesels et de 50 à 65 % pour les bioéthanols.
Faudrait-il encore que le biodiesel soit produit avec de l’huile de tournesol ou d’huiles usagées de chez nous et non de l’huile de palme d’Indonésie qui contribue à la déforestation et aux émissions de gaz à effet de serre…
L’ADEME avoue l’impact des affectations des sols
L’étude de l’ADEME, qui met en évidence la complexité du processus d’évaluation du bilan écologique » du puits à la roue » des biocarburants, reste toutefois « prudente et incomplète sur la question du changement d’affectation des sols » et préconise des travaux complémentaires, précise le ministère de l’Ecologie.
La filière soja est potentiellement la plus impactée du fait de rendement à l’hectare plus faible, et malgré la production de tourteaux.
Divers facteurs comme l’origine des sols destinés à produire les végétaux, le retournement des prairies, les usages des co-produits, et dans une moindre mesure les procédés de fabrication, sont également susceptibles de modifier substantiellement les résultats.
» Il serait donc nécessaire de lever cette incertitude qui plane au dessus de l’intérêt environnemental des biocarburants européens par rapport aux événements à l’échelle de la planète par des travaux approfondis et dépassionnés « , note l’Ademe dans son rapport final.
Pour Lionel Vilain, conseiller technique agricole de FNE : » Les résultats de l’étude sont sans appel : lorsqu’on prend en compte les changements d’affectation des sols (déforestation notamment), l’impact effet de serre des agrocarburants est le double de celui de l’essence ou du gasoil remplacé ! « .
» A lui seul, ce résultat suffit à démontrer qu’en aucun cas les agrocarburants ne représentent une solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports routiers « , affirme Michel Dubromel, responsable des transports à FNE.
La bataille des carburants « verts » continue
D’après FNE, l’étude démontre aussi que les filières métropolitaines d’agrocarburants ont une efficacité énergétique plus faible et sont économiquement non concurrentielles vis-à-vis des agrocarburants tropicaux.
Pourtant, le ministre de l’agriculture Bruno Le Maire a réaffirmé hier, lors de l’inauguration d’une ligne de production de biocarburants en Seine Maritime, les ambitions françaises en matière de carburants « verts » de 7 % en 2010 contre 6,25 % en 2009.
» Les biocarburants sont une filière d’avenir », a affirmé Bruno Le Maire. » C’est un bon choix de la France, un bon choix pour l’environnement (…) C’est bon pour le développement économique et l’emploi « .
Pour Lionel Vilain, conseiller technique agricole de FNE : » La conséquence, c’est que l’incorporation obligatoire de 10 % d’agrocarburants dans les carburants conventionnels en Europe va se traduire par une déforestation accélérée des forêts brésiliennes, malaisiennes et indonésiennes. «
Ainsi, FNE demande au Gouvernement de tirer les conséquences de cette étude et de renoncer à toute politique favorisant la production et l’utilisation d’agrocarburants industriels en France.
Emilie Villeneuve